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"Soyez libres de votre installation, venez juste donner un coup de main" : 150 sénateurs proposent un deal aux médecins

Après la proposition de loi Garot, c'est au tour de la PPL du sénateur Philippe Mouiller (Les Républicains) d'être débattue. Le texte, qui vise à "améliorer l'accès aux soins dans les territoires", est examiné ce mardi 6 mai devant la commission des Affaires sociales du Sénat. Signé par 151 sénateurs, il propose notamment de conditionner l'installation des médecins généralistes en zone sur-dense à un exercice partiel dans les territoires sous-dotés. Le texte prévoit également un tarif spécifique pour les actes effectués dans les déserts. Sa rapporteure, la sénatrice Corinne Imbert, pharmacienne de profession, revient pour Egora sur les propositions phares de cette PPL, riche de 19 articles.  

05/05/2025 Par Sandy Bonin
Interview Déserts médicaux
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Egora : Ce texte propose de conditionner l'installation des médecins généralistes en zone sur-dense à un exercice partiel en désert. Cette notion d'exercice partiel sera à définir par décret, mais à quoi pensez-vous en y faisant référence ? 

Corinne Imbert : Tout cela reste à discuter pour que ce soit acceptable par les médecins. Est-ce que ce sera une demi-journée par semaine ? Je ne sais pas. J'entendais le Premier ministre qui a rebondi sur nos travaux - puisque nous y travaillons depuis un an - en annonçant deux jours par mois. Il faut que cela reste acceptable pour les médecins afin d'améliorer l'offre de soins là où on en a vraiment besoin. Cela sera à déterminer. On ne le précise pas dans la loi parce que cela n'aurait pas de sens et cela serait fait au doigt mouillé. Cela doit être discuté sur la base de l'estimation et de l'évaluation des besoins. D'ailleurs, notre proposition de loi commence par là. Je pense que c'est la base de la réflexion. 

 

Effectivement les deux premiers articles confortent la compétence des conseils départementaux dans la promotion de l'accès aux soins en leur permettant d'évaluer leurs besoins… 

Oui, ce n'est pas un hasard si nos deux premiers articles sont consacrés à l'évaluation des besoins. Il faut être au plus près des territoires, à l'échelle des conseils départementaux, en associant les agences régionales de santé, les caisses primaires d'assurance maladie et, bien sûr, les ordres départementaux des médecins. L'objectif est d'analyser, sur la base des territoires de vie, l'offre médicale, la densité en fonction de la population, mais aussi du profil des habitants. Ce ne sera pas la même chose dans un territoire rural avec une population importante de plus de 65 ans que dans un environnement urbain, où la part des personnes âgées peut être plus faible. Cela ne veut pas dire que les jeunes ne sont pas malades, ce n'est pas le sujet, mais il y a des besoins différents. Tout cela se fera sur une base d'indicateurs.

Je pense qu'il faut aussi revenir sur ce zonage et ces éléments de langage, notamment "zone sur-dense". Tout cela n'est pas bon. D'abord, la zone-sur-dense n'existe pas dans le code de santé publique. Je pense qu'il s'agit surtout de territoires moins prioritaires. Il y a des territoires plus fragiles que d'autres et personne ne peut le contester. 

 

Vous voulez donc redonner la main aux territoires ?

C'est tout à fait l'objectif. Ce n'est pas étonnant de la part du Sénat ! Ce que nous avons constaté, y compris à travers les auditions passées, c'est que l'Observatoire national de la démographie des professions de santé a très peu de moyens et il est dans un carcan. C'est pour cela que nous voulons redonner la main aux territoires, sans écarter bien sûr les ARS. 

 

Dans le 2ème chapitre de la PPL, vous différenciez médecin généraliste et spécialiste en termes de critères d'installation. Pour les spécialistes, l'installation en zone sur-dense est conditionnée à un départ, ce qui n'est pas le cas pour les médecins généralistes... Ces derniers pourront s'installer en zones moins prioritaires s'ils consentent à avoir un exercice partiel en zone sous-dense. Pourquoi une telle différenciation ?

Nous restons sur nos convictions et sommes attachés à la médecine libérale. Nous avons prévu des dérogations pour les spécialistes, parce qu'il y a la question des plateaux techniques. Il est évident que on ne peut pas demander à un spécialiste qui a besoin d'un plateau technique d'avoir un cabinet secondaire. Tout cela a un coût, donc il faut envisager les choses de façon assez intelligente et pragmatique et faire confiance aux professionnels de terrain. 

Il peut aussi y avoir - et ça se fait déjà, des praticiens hospitaliers qui font des consultations avancées dans d'autres hôpitaux, qui ne sont pas ni CHU ni CHR, mais qui offrent un plateau technique leur permettant de travailler. Je crois à cela : au bon sens et à la solidarité des professionnels entre eux. Il faut passer outre les discours trop stéréotypés et avancer intelligemment ensemble au service des patients. Il faut d'ailleurs aussi responsabiliser ces derniers. Il faut le bon soin au bon moment.

 

La semaine dernière, les jeunes médecins manifestaient dans la rue contre la loi Garot, et plus globalement contre toute forme de contrainte à l'installation. Que leur répondez-vous ?  

Les jeunes médecins ont fait dix ans d'études difficiles et, en plus, ils ont servi l'hôpital au-delà de toute attente. Les 35 heures non compensées ont mis l'hôpital en difficulté et ont fait que l'on s'est servi des internes pour faire fonctionner les établissements. Ils sont là aussi pour apprendre, évidement, mais je pense qu'ils ont le sentiment que ça a été trop loin en termes de disponibilité et de temps consacré à l'hôpital. Tout cela, nous n'y sommes pour rien.

Soyez libres de votre installation, venez juste donner un coup de main

Après, nous disons aux spécialistes en médecine générale : soyez libres de votre installation, venez juste donner un coup de main ! Et je ne leur demande pas de travailler 70 heures par semaine.

Je suis élue au Sénat depuis dix ans. Je me suis impliquée sur les sujets santé, depuis la loi de 2019 d'Agnès Buzyn, et j'ai toujours reçu les internes. On a toujours dialogué. 

J'entends leur émoi par rapport à la PPL Garot. Je pense que nous avons écrit un texte plus équilibré, plus respectueux de la liberté d'installation. Bien sûr, qu'ils ne sautent pas de joie avec l'article 3 mais quand même. J'ai trouvé les auditions respectueuses et constructives. D'ailleurs, je salue le travail de tout le monde, y compris des syndicats de médecins. 

À travers les différents textes et autres propositions de loi, il y a eu un dialogue constant entre le Sénat et les acteurs de terrain, que sont les internes et les médecins en exercice, pour essayer de trouver un chemin. Je pense que cette proposition de loi est équilibrée, qu'elle ne remet pas en cause la liberté d'installation des généralistes. 

 

Votre proposition de loi a été, d'une certaine manière, reprise par François Bayrou…

Oui, complètement. Le Gouvernement, en dévoilant son "Pacte contre les déserts médicaux", s'est inspiré du Sénat, sans nous citer d'ailleurs. 

 

Vous proposez dans l'article 5 d'autoriser les dépassements d'honoraires en zone sous-dense, demande formulée de longue date par les médecins. Mais qu'en pense l'Assurance maladie ?

Il y a eu une petite erreur de notre part entre l'exposé des motifs et la rédaction. Si l'on prend la rédaction de l'article, on parle de tarif spécifique. Nous avons travaillé sur cette PPL pendant un an, mais la rédaction de l'exposé des motifs a été menée de façon rapide. Nous voulions qu'elle passe au Sénat avant l'été donc nous avons mis petit coup d'accélérateur.

Évidemment, nous ne nous mêlons pas des négociations conventionnelles qui relèvent de l'Assurance maladie et des syndicats représentatifs des médecins. Par contre, nous envoyons un signal et nous avons eu cette discussion avec la Cnam qui était d'accord avec nous. Il s'agirait donc d'un tarif spécifique et supérieur pour les consultations pratiquées en zones déficitaires. Cela signifie que la prise en charge par l'assurance maladie et les complémentaires serait intégrale. Il s'agit donc bien d'un tarif spécifique et pas d'un dépassement d'honoraires qui, lui, engendre un reste à charge pour tous les patients. Ce serait une double peine.

Certes, c'est une dépense pour l'Assurance maladie et pour les complémentaires, mais celle du renoncement aux soins est plus importante. Je crois que là encore il s'agit de trouver un juste équilibre. 

 

Vous proposez d'autoriser les prises en charge simples et l'évaluation clinique par les pharmaciens. À quel(s) type(s) de prises en charge pensez-vous ?

Cela mérite une explication et je complèterai la rédaction de l'article pour rassurer le corps médical. Depuis des lustres les patients, voyant que la croix verte est allumée, rentrent dans une officine, parce que l'enfant est tombé dans la rue, que le mari s'est coupé etc. Le médecin ne répond pas et on arrive à la pharmacie, on demande un pansement. Et le pharmacien prend en charge le patient, dans la mesure de ses compétences. Les pharmaciens ne sont pas des fous furieux, ils savent ce qui relève de leurs compétences, ou quand il faut orienter le patient vers un médecin ou un service d'urgence parce que la plaie est trop large, par exemple. Tout cela, le pharmacien sait le faire et le fait gracieusement. Ces conseils à l'officine font partie de la fonction.

Là on est sur la généralisation d'une expérimentation très protocolisée, avec un arbre décisionnel arrêté par les médecins et les pharmaciens qui s'appelle Osys. L'expérimentation a déjà démarré en Bretagne sur 13 cas de figure. Une deuxième vague d'expérimentation a concerné six situations, dont deux ont déjà été généralisées. Il s'agit de la prise en charge de la cystite chez la femme de moins de 65 ans avec le test de la bandelette urinaire. C'est très cadré et très protocolisé. Le deuxième cas généralisé est le Trod angine. Il reste quatre situations cliniques bénignes auxquelles les pharmaciens sont régulièrement confrontés du lundi matin au samedi soir. Le texte propose simplement de généraliser ces quatre autres cas [plaies, brûlures, conjonctivites et piqures de tique, NDLR]. Tout cela sur la base de protocoles et d'arbres décisionnels, c'est fondamental. 

 

Vous voulez développer l'exercice des infirmières en pratique avancée. Vous proposez de faciliter leur formation pour qu'il y en ait plus et de développer une part de rémunération à l'activité. Là encore, la Cnam a-t-elle donné son feu vert ?  

Elle ne l'a pas critiqué. Il y a une vraie question de modèle économique des IPA en libéral. Après, jamais le texte n'oblige un médecin à exercer avec une IPA, bien évidemment. 

Il y a quand même un sujet sur leur formation. Même si elles ont une aide de la Cnam, pour devenir IPA, il faut avoir exercé trois ans puis s'arrêter pendant deux ans pour faire cette formation qui est payante et qui a un coût non négligeable. Je pense qu'il faut soutenir leur formation parce que nous avons besoin d'infirmières en pratique avancée. 

 

On a le sentiment que cette proposition de loi articule caresses et claques vis-à-vis des médecins…

Ce sont des petits pas, mais cela nous a quand même demandé un peu de travail et de réflexion. Cela reste une proposition de loi avec toutes ses limites, mais qui est quand même assez dense. Cela n'est pas trois articles... Il y a beaucoup de choses. On a essayé d'être pragmatiques et de trouver des solutions qui puissent être mises en œuvre rapidement. La belle idée du grand projet de loi santé, c'est le boulot du Gouvernement.

Nous sommes partis des retours de terrain. On a commencé par écouter des associations. Cela a abouti à un article tout bête, par exemple, sur la question du salariat dans les centres de santé. Le problème était soulevé par Martial Jardel le président de Médecins solidaires. Quand un médecin, sur la base du volontariat, travaille cinq jours par an dans un des centres de santé portés par Médecins solidaires, cela relève du CDD. Et s'il le fait plusieurs fois dans l'année, cela se heurte avec les limites du droit du travail. Nous avons donc trouvé une formulation qui semble convenir à tout le monde. L'idée est de faciliter la vie des médecins qui veulent travailler.

 

Dans ce sens, vous voulez également supprimer la rédaction de certificats en matière de pratique sportive ou pour les jours de congé pour enfant malade...

Cette disposition est défendue depuis longtemps. On a tenté de la mettre dans des lois de financement de la Sécurité sociale, sans succès. Visiblement, cette fois, le Gouvernement nous entend. Donc je pense que nous avons été force de proposition et que nous avons donné plus de caresses que de petites gifles. 

Moi, je défends la médecine libérale. Je suis moi-même professionnelle libérale avec une contrainte à l'installation. Si l'on interroge les pharmaciens en leur demandant si on leur a imposé leur lieu d'exercice ou s'ils l'ont choisi, à 100%, ils répondront qu'ils l'ont choisi. Mais ce débat est inaudible aujourd'hui et on n'entend pas le mettre sur la table. C'est pour cela que nous restons sur la liberté d'installation en demandant juste de donner un coup de main. Venez aider les patients ! Après les patients aussi doivent se raisonner. Nous ne sommes pas là pour encourager la consommation médicale. 

Avec ce texte, on ne règle pas tout, et on n'a pas la prétention d'avoir une baguette magique, mais je pense qu'on peut être utiles.  

"Un motif, une consultation" : approuvez-vous cette pratique ?

M A G

M A G

Oui

Cette règle découle obligatoirement de l'impossibilité de moduler la rémunération en fonction du temps passé et en fonction de la ... Lire plus

12 débatteurs en ligne12 en ligne
Photo de profil de Francois Cordier
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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 11 jours
"Il est évident que on ne peut pas demander à un spécialiste qui a besoin d'un plateau technique d'avoir un cabinet secondaire. Tout cela a un coût, donc il faut envisager les choses de façon assez in
Photo de profil de Fabien Bray
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 11 jours
Le discours de la sénatrice est tout de même beaucoup moins vengeur et jaloux que celui de Garrot, et elle semble également beaucoup mieux informée. Par contre c'est pas encore le choc de simplificat
Photo de profil de Pat Bourgpat
1,3 k points
Débatteur Passionné
il y a 11 jours
Toujours les points noirs jamais répondus. Sur quels lieux avec quels tarifs de location pour les locaux. Comment fonctionne l'Urssaf et les impôts locaux par rapport à cet exercice secondaire. Q
 
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