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"Médecin généraliste, j'ai ouvert un cabinet secondaire dans un désert… et ça n'a pas duré"

Pendant 4 ans, le Dr Pierre-Henri Gorioux, médecin à Bordeaux, a tenu un cabinet secondaire à Bégadan (Gironde), dans lequel jusqu'à sept généralistes se sont relayés pour assurer des consultations le temps d'une journée. Il livre son témoignage sur cette organisation visant à favoriser l’accès aux soins “là où il n’y en a plus”, et qui semble similaire à celle proposée dans le “pacte de lutte contre les déserts médicaux” par François Bayrou. 

06/05/2025 Par Pauline Machard
Déserts médicaux
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“Les cabinets secondaires en zone sous-dotée : une vraie bonne idée ?” Tel est le titre du post publié sur LinkedIn par le Dr Pierre-Henri Gorioux, généraliste à Bordeaux, le 25 avril. Soit le jour de la présentation, par le Premier ministre François Bayrou, du “pacte de lutte contre les déserts médicaux”, valorisé comme une alternative à la très décriée proposition de loi Garot visant à réguler l’installation. La mesure phare du plan : l’imposition aux médecins travaillant en zones considérées comme bien pourvues, d’exercer jusqu’à deux jours par mois dans les “zones rouges” voisines, où l’accès aux soins est très dégradé voire inexistant, pour réorienter vers elles "30 millions de consultations" par an. Charge aux ARS, en lien avec les élus locaux, de les identifier d’ici fin mai…

D'après ce plan, cette mesure, conçue obligatoire et que le Gouvernement espère mettre en place en septembre, pourra prendre selon les territoires la forme de consultations avancées dans des locaux existants ou de téléconsultations. Avec son projet MedG Santé, initié “il y a quatre ans” et récemment stoppé, le médecin bordelais a justement testé un modèle hybride associant les deux. Son témoignage, il ne le veut pas politique. Il souhaite juste, humblement, faire “un retour d’expérience de ce qu’on a essayé de mettre en place et qui ressemble, un peu, aux mesures du Gouvernement”. Il y décline “ce qui a fonctionné”, “ce qui n’a pas fonctionné”, pour éviter de tomber dans le “binaire”.

Un binôme cabinet de ville et de campagne

L’idée de MG Santé : créer des binômes, explique-t-il. Avec un cabinet principal de médecine générale, en l’occurrence ici à Bordeaux. Et un cabinet secondaire en zone sous-dotée, pour y renforcer l’accès aux soins. Celui-ci sera à Bégadan, dans le Médoc, dans “une zone sous-dotée”. La mairie avait pris en charge les travaux des locaux, puis les avait loués aux médecins.

Concrètement, les médecins bordelais – le Dr Gorioux et ses “deux premiers associés”, qu’il a embarqués dans l’aventure –, se relayaient pour aller une fois par semaine, le jeudi, consulter sur place, à Bégadan. Ils avaient reçu “une dérogation de l’Ordre” pour pouvoir se faire remplacer pendant ce temps dans le cabinet principal, tel que le prévoit le plan du Gouvernement. L’ambition était, “à terme”, d’avoir des permanences “deux fois par semaine”, mais cela ne s’est pas fait. En complément de ce présentiel, des téléconsultations étaient organisées avec “deux infirmières du village, fines connaisseuses du territoire, qui exerçaient dans le même bâtiment. Pour les téléconsultations, elles se rendaient dans les bureaux des médecins.

Le patient prenait d’abord rendez-vous pour une consultation, était averti qu’il serait reçu sur place par une infirmière et que le médecin serait à distance. L’infirmière relevait le motif, préparait la consultation, prévenait le médecin quand elle était disponible, celui-ci se connectait et pouvait être amené, à distance, à reposer des questions, examiner, prescrire. “Ce n’était pas parfait, mais ça permettait de dégrossir”, fait valoir le généraliste. Un temps, il a imaginé les téléconsultations en début de semaine, pour que des patients soient éventuellement reconvoqués le jeudi en présentiel, mais cela ne s’est pas fait. Dans cette organisation, la continuité des soins était facilitée par le dossier médical partagé et la stabilité de l’équipe.

Le temps passant, "les médecins ont commencé à fatiguer"

Certes, le praticien a bien “conscience que c’est, même si je n’aime pas le terme, un peu une solution dégradée”. Que, évidemment, il serait préférable d’avoir des médecins sur place, “à 100%”. Mais c’est un pis-aller. “Ce n’est pas la solution parfaite, mais c’en est une”, déclarait-il déjà dans Sud-Ouest en 2021, au tout début. Il souligne aussi l’engagement des acteurs. Les médecins, mais aussi les infirmières, qui le faisaient sur leur temps libre. Ou encore le pharmacien, toujours prêt à aider : il a notamment “financé les objets connectés. Il était aussi partant pour, potentiellement, accueillir les patients en téléconsultation dans sa pharmacie”. Cela n’a pas été mis en place, mais il retient que l’officinal “voulait vraiment faire bouger les choses. Trouver des solutions”.

Arrêter, une décision difficile

Au bout d’un an et demi, “le projet a pris un peu de plomb dans l’aile”, raconte-t-il. En cause notamment : la limitation des téléconsultations à 20% du total annuel des actes du praticien par la convention médicale (même si, aujourd’hui, les téléconsultations du médecin traitant sont exclues du plafonnement, ce qui est une “avancée”). Pour ne pas risquer de dépasser ce seuil, du fait de l’activité des cabinets (principal et secondaire), “on a arrêté les téléconsultations”. Et donc “on a arrêté avec les infirmières”, regrette-t-il, qui “appréciaient cet exercice”. C’est notamment grâce à elles, à leur proximité avec les patients, que la confiance dans le dispositif a pu s’instaurer.

Les médecins ne se sont pas laissé abattre, poursuivant les consultations physiques une fois par semaine. Ils ont même trouvé des relais à partir du moment où le Dr Gorioux a ouvert son deuxième cabinet bordelais, car les médecins en faisant partie se sont impliqués à leur tour dans le projet. “On était 7 médecins, à la fin, à tourner sur les jeudis”. Si “c’était plus confortable”, pour les praticiens, ce n’était pas suffisant pour la prise en charge. Et puis, le temps passant, les médecins ont commencé à fatiguer.

À cause du trajet, déjà. Pour relier Bordeaux et Bégadan, il faut, selon l’endroit habité dans la métropole, “entre 1 h 30 et 2 h, en fonction des bouchons”, souligne le généraliste. Une contrainte usante. D’autant plus compliquée à gérer pour des jeunes parents, car l’équipe a connu, dans le laps de temps de l’ouverture des deux cabinets bordelais, “7-8 naissances”. Mais le trajet n’a pas été la seule raison du renoncement (peut-être temporaire).

Il y a eu le fait de ne “plus pouvoir faire simplement les actes de téléconsultation”. Qu’économiquement, “c’était moins intéressant de faire une journée de consultations là-bas, car on voit moins de patients”. Que l’organisation du cabinet secondaire était moins bonne car, dans le principal il y a, sur place, des assistants médicaux, des coordinatrices. Que le loyer restait “significatif”, dit-il, sans en vouloir du tout à la mairie, qui a fait beaucoup pour les aider. Petit à petit, le ‘pool’ de médecins se rendant à Bégadan s’est rétréci, jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible d’assumer ce rôle. La décision d’arrêter a été prise soudainement, collectivement. Il a été mis fin au bail le 1er mars.

Tout a été arrêté “du jour au lendemain”

Le Dr Gorioux n’a “vraiment pas très bien vécu” ce moment, “ça m’a rendu triste”. Mais les médecins ont pu compter sur le soutien des autres professionnels, qui ont compris et accepté leur décision, et jamais exprimé de “rancœur”. Ils leur ont dit “qu’il fallait qu’on pense à ce qui était bon pour nous”. Et “ils nous ont plutôt remerciés pour tout ce qu’on a essayé de mettre en place”, et assuré qu’on “pouvait être fiers”. C’est pour les patients que ça a été plus dur : pour eux, “ça a été un peu brutal”, car une fois la décision prise, tout a été arrêté “du jour au lendemain”, reconnaît-il.

De cette expérience, il retient “quasiment que du positif”. Le bilan est bon sur le plan médical : “Une partie significative [des patients] a adhéré” – même aux téléconsultations, après un temps de pédagogie –, remplissant les plannings. Même si, pense-t-il, “ils préféreraient un médecin à temps plein”. La première année suivie, “on avait fait 1 100 consultations”, soit “à peu près 5% de nos consultations totales”. La deuxième année, avec bien moins de téléconsultations, “plutôt 3%”. “Je pense qu’on a aidé des patients sur la reprise du suivi”. Le modèle a aussi, selon lui, fonctionné “humainement”, à ce titre, “ça a été vraiment génial, comme aventure”. C’est pour cela que “ça a été un crève-cœur d’arrêter”.

Le généraliste n'a pas dit son "dernier mot"

Le négatif, c’est, pour lui : “Avoir dû arrêter”. Il se verrait bien retenter, d’autant que, désormais, il sait ce qui pourrait être fait différemment. Il choisirait le lieu secondaire plus proche. Il encourage à poursuivre la délégation, que ce soit aux infirmières, aux pharmaciens. Ou à une assistante médicale – pourquoi pas à temps plein au cabinet secondaire, pour davantage structurer ce dernier. Il s’agit de “trouver des moyens financiers pour recruter des assistants médicaux plus sereinement”, mais aussi de reconnaître, valoriser les actes à distance, de développer des outils technologiques sur-mesure, de créer un modèle de cabinet traitant à distance et peut-être d’avoir un “plus gros pool de médecins” histoire de “faire moins d’allers-retours”, même si, remarque-t-il, “les patients ont envie de revoir souvent le même médecin”. Il faudrait également augmenter le présentiel des médecins dans le cabinet secondaire à “deux fois par semaine”, vraiment lever le plafond des téléconsultations, “quand le modèle est coordonné, sécurisé”, écrit-il. Et “mieux outiller les communes rurales”, pour qu’elles puissent réellement “jouer un rôle de facilitateur”.

Les “dix prochaines années vont être un peu sport”, en termes d’accès aux soins, rappelle le généraliste. Pour lui, “tant qu’il n’y aura pas vraiment beaucoup plus de médecins formés”, il faudra continuer à innover pour trouver des solutions afin d’“augmenter l’accès aux soins, sans altérer la qualité médicale”. “C’est un équilibre pas simple à trouver”, mais il est optimiste. Le modèle proposé par François Bayrou, par exemple, est pour lui une “piste à creuser” - même s’il laisse transparaître qu’imposer n’est peut-être pas judicieux. Il y en a d’autres, fait-il savoir, citant par exemple Médecins solidaires. “Je n’ai pas dit mon dernier mot”, fait-il valoir pour sa part : “On est de plus en plus nombreux dans les cabinets, je me dis que peut-être…”. “Je pense qu’on réessaiera quelque chose”.

"Un motif, une consultation" : approuvez-vous cette pratique ?

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Médecins (CNOM)
il y a 10 jours
Il faudra m'expliquer comment on gère sérieusement les situations foireuses quand on est à 2 heures de route et qu'on ne se déplace qu'une fois par mois. Vous prescrivez une biologie, elle revient pou
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3,7 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 10 jours
Illustration, si besoin en était, que même les meilleures volontés se heurtent au mur du réel. Il a suffi de 4 ans... La fatigue des aller-venus, l'instabilité législative, les contraintes économi
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489 points
Débatteur Renommé
Médecins (CNOM)
il y a 10 jours
Même avec des médecins ACHARNÉS ET VOLONTAIRES (force à eux) l'épuisement à eu raison d'eux.... Alors avec une obligation, il y aura personne pour tenir le tout à bout de bras, sur son temps perso, a
 
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