Mort d'Hitler

Les soldats américains ont lu la mort d'Hitler dans une édition 'extra' de 'Stars and Stripes.', le journal des forces américaines. Crédit : CBW/Alamy Banque D’Images

Autopsie d'Hitler : la contre-enquête d'un médecin légiste français

C'est une "énigme" vieille de 80 ans. Le 30 avril 1945, Adolf Hitler mettait fin à ses jours dans son bunker de la chancellerie. Dans le plus grand secret, son corps a été récupéré par l'Armée rouge. Une commission de cinq médecins légistes est alors mise en place pour procéder à l'identification formelle et déterminer la cause de son décès. Un travail sous influence politique auquel s'est intéressé le Dr Eric Laurier, chef du service légal du CH de Valenciennes et auteur de l'ouvrage "Le Cadavre d'Hitler – Les derniers secrets du corps 12", aux Editions Ex Aequo. 

30/04/2025 Par Aveline Marques
Histoire
Mort d'Hitler

Les soldats américains ont lu la mort d'Hitler dans une édition 'extra' de 'Stars and Stripes.', le journal des forces américaines. Crédit : CBW/Alamy Banque D’Images

Que s'est-il passé dans les profondeurs du Führerbunker, le 30 avril 1945 ? On sait que face à l'imminence de la défaite et à la trahison d'Himmler, Adolf Hitler s'est suicidé, aux côtés d'Eva Braun, qu'il avait épousée la veille. "Moi et ma femme choisissons la mort pour échapper à la honte de la déposition ou de la capitulation", a dicté le chancelier du Reich à sa secrétaire*, dans son testament privé. Redoutant de subir le sort de son allié Mussolini, dont le cadavre a été exhibé, Hitler manifeste sa volonté que leurs deux corps soient "brûlés immédiatement". 

 

Secret d'Etat

Mais 80 ans après, la cause de son décès est toujours un sujet de controverses : le dictateur nazi s'est-il tiré une balle dans la tête ou s'est-il suicidé au moyen d'une ampoule de cyanure ? Loin d'être anecdotique, cette information a été "couverte de la chape du secret d'Etat par Staline", explique le Dr Eric Laurier, chef de l'unité médico-légale du CH de Valenciennes, qui s'intéresse à cette "énigme historique et médico-légale" depuis plus de 30 ans.

Le dirigeant soviétique a entretenu le mystère sur le sort d'Hitler, allant jusqu'à suggérer aux Américains qu'il était toujours en vie et avait pu s'enfuir dans l'Espagne franquiste, en Amérique du Sud voire au Japon, à bord d'un sous-marin. Un moyen pour lui de maintenir une pression militaire sur l'Europe de l'Est ?

Ce n'est qu'en 1968, soit 15 ans après la mort de Staline, que le monde apprend qu'un détachement du Smersh, le service de contre-espionnage militaire soviétique, avait bel et bien mis la main dès le 4 mai 1945, dans le jardin de la chancellerie à Berlin, sur les cadavres présumés d'Hitler et d'Eva Braun, en grande partie calcinés. Dans son livre "La Mort d'Hitler", le journaliste russe Lev Bezymenski reproduit les procès-verbaux des autopsies pratiquées dans le plus grand secret par cinq médecins légistes dépendant de la 3e armée de choc du premier front de Biélorussie sur 13 cadavres découverts à la chancellerie : les époux Goebbels et leurs six enfants ; le général Hans Krebs ; "un homme défiguré par le feu, vraisemblablement le cadavre d'Hitler" et un "cadavre partiellement brûlé d'une femme inconnue, vraisemblablement l'épouse d'Hitler" ainsi qu'une chienne et un chiot – ces quatre dernières dépouilles ayant été exhumées d'un cratère d'obus. La mission de ces légistes : procéder à l'identification formelle des corps ravagés par le feu et déterminer, pour tous, la cause du décès.

C'est en tombant en 1992 sur la mention de ces autopsies "au hasard d'une lecture médicale" qu'Eric Laurier, alors assistant hospitalo-universitaire, a commencé à faire des recherches. "J'étais intimement convaincu qu'on n'avait pas retrouvé le corps d'Adolf Hitler, se rappelle le légiste. Savoir qu'il y avait pu y avoir effectivement un corps retrouvé et autopsié, alors que j'étais médecin légiste, ça ne pouvait que m'intéresser."

 

Le suicide par cyanure, "la mort des lâches"

L'affirmation d'une même cause commune de décès pour les 13 cadavres autopsiés – le cyanure – l'intrigue. Et ce d'autant qu'en Occident, c'est la version d'un suicide par balle d'Hitler - et par cyanure d'Eva Braun - qui s'est imposée depuis la publication, en novembre 1945, des conclusions de l'enquête menée par l'agent du MI6 Hugh Trevor-Roper. Ce dernier a pu interroger plusieurs témoins des derniers jours d'Hitler, notamment son chauffeur Eric Kempka, qui a assisté à la crémation des corps du führer et de son épouse en se procurant pas moins de 160 litres d'essence. 

Dans un article publié en 1993 dans La Semaine des hôpitaux de Paris, le jeune légiste et trois confrères lillois considèrent que de fausses données ont été introduites dans ces rapports par une commission-légale soviétique sous pression politique : il fallait identifier Hitler et conclure au suicide par cyanure. "Puis j'ai pris mes fonctions en 1994 à l'hôpital de Valenciennes, où j'ai concentré tous mes efforts sur le développement du service médico-légal et j'ai laissé un peu de côté cette histoire", retrace Eric Laurier. 

Depuis, de nouvelles archives ont été déclassifiées, notamment les résultats d'une contre-enquête soviétique menée début 1946 sur les causes du décès d'Hitler, qui remet en cause l'autopsie pratiquée un an plus tôt. A l'occasion de nouvelles fouilles à la chancellerie, ces enquêteurs du NKVD (la police politique) retrouvent un fragment de calotte crânienne percée d'un orifice de balle, qu'ils attribuent à Hitler (voir encadré). 

Le légiste a suivi une démarche comparable à celle d'une procédure criminelle

A la lumière de ces nouveaux éléments, Éric Laurier a décidé de mener sa propre "contre-enquête" sur les 13 autopsies pratiquées sous la direction du Dr Faust Chkaravski. Pour ce faire, le légiste a suivi "une démarche comparable à celle d'une procédure criminelle" : "confronter les données d'enquête et les témoignages aux constatations médico-légales dans le but d'éprouver la pertinence des investigations, aussi bien celles menées par le contre-espionnage militaire russe que par les légistes soviétiques". Et de poser la question : le 8 mai 1945, dans la petite annexe mortuaire d'une clinique de Buch, dans la banlieue de Berlin, "la commission médico-légale a-t-elle pratiqué une véritable autopsie ou a-t-elle dû se livrer à un simulacre" ?

La description du corps présumé d'Adolf Hitler. Source : "Le Cadavre d'Hitler – Les derniers secrets du corps 12", Eric Laurier (Ed. Ex Aequo) 

 

Au terme de cette enquête, le légiste valenciennois relève plusieurs manques, failles et incohérences qui témoignent d'une ingérence politique et d'une volonté de "démontrer coûte que coûte que les dignitaires du régime nazi avaient été des poltrons" en se suicidant par cyanure, souligne-t-il. Ainsi, les pistolets retrouvés près des époux Goebbels ne sont pas démontés et les légistes ne procèdent pas à l'ouverture crânienne des cadavres du couple ; la blessure à la tête du général Krebs est jugée "non mortelle" alors qu'un premier rapport le 3 mai avait évoqué son suicide par balle ; les légistes omettent le rôle dans le décès des enfants Goebbels qu'a pu jouer une éventuelle surdose de la morphine qu'on leur a administrée pour les endormir avant de les empoisonner au cyanure.

La présence de cyanure est en revanche triplement attestée par les débris d'ampoule retrouvés dans les mâchoires (y compris dans la gueule de la chienne d'Hitler, Blondi, sur lequel l'efficacité du poison a été testée au préalable), par la forte odeur d'amande amère qui s'est exhalée à l'ouverture des viscères et par les résultats des tests toxicologiques pratiqués sur les corps 1 à 11… mais pas sur les corps 12 et 13, attribués respectivement à Hitler et Eva Braun, relève Eric Laurier. "L'argumentation selon laquelle les corps numéros 12 et 13 sont décédés des conséquences d'un empoisonnement de cyanure, les légistes vont la chercher dans les débris d'ampoule retrouvés dans leurs mâchoires et dans la mise en évidence toxicologique du cyanure dans les 11 autres corps, ça n'est absolument pas rigoureux, ni logique", pointe le légiste. Pour ce dernier, "il semblerait que les analyses aient été faites, mais les résultats ont peut-être été passés sous silence car ils n'allaient pas dans le sens d'une mort par cyanure", suppose le légiste. 

Aucun indice de blessure ou de maladie mortelle n'a été découvert

"Pour ce qui est d'Eva Braun, grâce à ce rapport d'autopsie on connait la cause du décès mais ce n'est pas celle qui est retenue dans la conclusion", remarque Eric Laurier. La commission médico-légale a décelé une hémorragie interne. "Eva Bran a été mortellement blessée à la poitrine par un éclat d'obus russe au moment où on la dépose en terre dans le jardin de la chancellerie. Bien qu'en apparence sans vie, elle était encore vivante, ce qui veut dire que le cyanure n'a pas été pour elle totalement efficace", conclut-il.

 

Le sosie aux chaussettes reprisées

En ce qui concerne le cadavre présumé d'Hitler, l'absence de voûte crânienne au moment de l'autopsie du 8 mai 1945, qui a pu résulter en grande partie des effets d'une calcination, a permis aux légistes d'écrire dans leur rapport qu'"aucun indice de blessure ou de maladie mortelle n'a été découvert". 

Des fragments du crâne auraient pu être retrouvés sur le lieu de la crémation, mais les légistes n'ont pas pu participer au recueil des corps, qui a été "rocambolesque", décrit Eric Laurier. "Les corps ont été officieusement trouvés le 4 mai, mais à ce moment-là on trouve un cadavre avec une frange en biais, une moustache et un orifice entre les sourcils, raconte le légiste français. Tout le monde est alors convaincu que ce corps, auprès duquel les soldats prennent la pose, est Hitler donc on réinhume les corps 12 et 13." Mais ce "sosie" est finalement écarté en raison de ses chaussettes reprisées : "inconcevable" pour le chancelier du Reich. Les corps 12 et 13 sont donc de nouveau déterrés, "à la va-vite", dans un contexte de rivalité au sein de l'Armée rouge. Les dépouilles des époux Hitler auraient ainsi été subtilisées au nez et à la barbe de la 5e armée de choc, qui garde la chancellerie.

Mais si la voute crânienne est absente, il subsiste la base du crâne, relève Eric Laurier dans son ouvrage. "Une procédure rigoureuse aurait dû comporter l'arrachage instrumental de la dure-mère qui est par nature adhérente à l'os crânien, afin d'exposer puis d'inspecter la base du crâne à la recherche de fissures traumatiques, voire même d'un orifice d'entrée de projectile en provenance de la bouche." Ce qui n'a pas été fait, déplorent également les enquêteurs du NKVD en 1946. 

 

Pas de radios

Fait "incompréhensible" pour Eric Laurier, la commission médico-légale n'a ni photographié, ni radiographié le cadavre d'Hitler comme elle la fait avec ceux des Goebbels et de Krebs. "Une telle radiographie du crâne aurait eu l'avantage de montrer les appareils dentaires encore en place dans la bouche du cadavre, avant leur extraction, et aurait eu aussi l'intérêt de rechercher au sein des restes du massif crânio-facial, les résidus radio-opaques métalliques d'un éventuel projectile", souligne l'expert français. 

Ces clichés auraient pu être comparés avec des radiographies du crâne réalisées ante mortem et faciliter l'identification d'Hitler. Les Américains ont d'ailleurs mis la main sur cinq radios du crane d'Hitler réalisées entre septembre et octobre 1944 à la suite de l'attentat du 20 juillet 1944 (l'opération "Walkyrie") lors duquel "avec le souffle de l'explosion, les tympans d'Hitler ont été perforés ; il s'est plaint de douleurs sinusiennes", rappelle Eric Laurier. C'est d'ailleurs la concordance de ces radios avec les constatations des légistes soviétiques et les détails fournis par le dentiste d'Hitler, le Dr Hugo Blaschke, sur les soins dentaires apportés à Hitler qui ont permis au Pr Regis Sognnaes, en 1973, de conclure que les Russes avaient bien autopsié le bon cadavre.

N'ayant pu mettre la main sur Blaschke ni sur des radios, les Soviétiques ont dû se contenter d'interroger son assistante, Kathe Heusermman, sur les prothèses dentaires posées sur Hitler de son vivant. Eric Laurier relève dans sa contre-enquête une "discordance" majeure portant sur le bridge maxillaire supérieur, composé de neuf dents : d'après son concepteur, Blaschke, interrogé par les Américains, il repose sur six dents piliers ; d'après son assistante et le procès-verbal dressé suite à l'autopsie, il ne repose que sur quatre dents. Les deux versions ne s'accordent pas, non plus, sur l'aspect extérieur de deux dents (couronnes en or pour l'un, facettes en porcelaine pour l'autre). 

"L'identification d'Hitler ne peut pas prétendre être certaine"

"Ça, je n'ai pas d'explications", commente Eric Laurier. Parmi les "hypothèses" formulées par le légiste : celle d'un bridge reconstitué par les Soviétiques, confrontés à un corps réduit "à un magma de chair calciné" et dont la prothèse avait pu être égarée du fait des conditions de l'exhumation, pour se conformer aux indications de Kathe Heusermman et parvenir à l'identification réclamée en haut lieu… En raison de cette discordance, "l'identification d'Hitler ne peut pas prétendre être certaine, elle est quasi certaine", rectifie le légiste français.

 

Le mythe du testicule unique

Eric Laurier s'attaque par ailleurs au "mythe" du testicule unique d'Hitler (cryptorchidie), qui expliquerait, d'après les partisans de la "psycho-crypto-théorie", que "le sentiment d'être un homme incomplet aurait poussé Hitler à vouloir conquérir par tous les moyens la prééminence absolue sur les autres hommes". Le procès-verbal numéro 12 "décrit un temps de dissection pelvien à la recherche du testicule gauche, absent du scrotum, et conclut en bout de course, au terme d'une recherche vaine de celui-ci dans le creux inguinal et le petit bassin, à un cadavre qui ne serait doté que d'un seul testicule, le droit", rapporte Eric Laurier. 

Mais pour le légiste français, l'histoire médicale d'Hitler ne permet ni d'attester avec certitude d'une anomalie d'origine congénitale**, ni d'une castration unilatérale à la suite d'une blessure ou de la chirurgie d'une tumeur testiculaire. "On asexualise Hitler en le dépossédant d'un testicule : c'est un lâche, il manquait de couilles, il s'est suicidé comme un lâche par cyanure", interprète Eric Laurier. Le légiste a, par ailleurs, découvert que la commission médico-légale avait appliqué la même "logique" à Eva Braun : le rapport d'autopsie du corps 13 "ne contient pas de notion d'utérus ou d'ovaire contrairement aux autres corps féminins" (Magda Goebbels et sa fille ainée). Autant d'éléments qui laissent à penser que ce rapport était au départ destiné à être rendu public, avant que Staline ne change d'avis, dans les premiers jours de juin 1945.

Contaminés par une propagande politique qui n'a jamais véritablement cessé, les travaux de la commission médico-légale de mai 1945 comme ceux de la contre-enquête de mai 1946, bien que déclassifiés, ne permettent pas de faire toute la vérité sur la mort d'Hitler. "Il persiste une once de mystère… et c'est d'autant plus intéressant", conclut Eric Laurier. 

 

Des mâchoires et un crâne : ce qu'il reste d'Hitler

Le 5 avril 1970, le KGB mène l'opération "archive" : la caisse contenant les restes décomposés du cadavre d'Hitler, enfouie dans le sol de Magdeburg (Allemagne), est déterrée ; la dépouille est brulée, les cendres répandues dans une rivière. Du cadavre d'Hitler il ne subsisterait plus que ses mâchoires, prélevées en mai 1945, et le fragment de calotte crânienne retrouvé un an plus tard. Ce vestige de la taille d'une paume de main, percé d'un orifice de balle, a été montré au public pour la première fois en mai 2000 lors d'une exposition à Moscou, intitulée "L'Agonie du Troisième Reich", qui visait à célébrer le 55e anniversaire de la victoire sur l'Allemagne nazie. Elle permettait aux Russes "d'avoir le dernier mot en contrecarrant l'ultime volonté d'Hitler", ironise Éric Laurier.

Des photos des mâchoires d'Hitler étaient également exposées. Des restes que le Dr Philippe Charlier a pu examiner en 2018 : si le médecin légiste et anthropologue a été en mesure de confirmer que les mâchoires sont bien celles du Führer, pour le fragment de crâne en revanche, il n'a pu ni l'affirmer ni l'exclure. "Il suffirait de comparer l'ADN dentaire à l'ADN du crane pour savoir si ça appartient à la même personne", relève Eric Laurier. Mais pour l'heure, les Russes s'y refusent. 

 

*En 2005, Traudl Junge a publié ses mémoires : "Dans la tanière du loup : les confessions de la secrétaire d'Hitler"

**Le témoignage du médecin de famille d'Hitler, le Dr Edouard Bloch, contredit celui du médecin de la prison de Landsberg, où Hitler avait été emprisonné en 1923 après la tentative de putsch à Munich. 

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