Déserts médicaux

Pour les médecins, aller jusqu'à 2 jours par mois dans un désert n'est "pas envisageable" : "Je suis déjà sous l'eau"

Aller exercer jusqu'à deux jours par mois dans un désert médical ? C'est la mesure phare du nouveau "pacte de lutte contre les déserts médicaux" du Gouvernement, à laquelle s'opposent de nombreux lecteurs d'Egora. Interrogés, 74% d'entre eux estiment qu'un tel dispositif est "ahurissant", voire serait délétère pour les praticiens et leurs patients.

02/05/2025 Par Chloé Subileau
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Déserts médicaux

Obliger les médecins, généralistes comme spécialistes, à aller exercer jusqu'à deux jours par mois dans les zones les plus sous-dotées : c'est l'une des nombreuses mesures du "pacte de lutte contre les déserts médicaux" détaillé par le Premier ministre, vendredi 25 avril. Issu de concertations avec les représentants des médecins, des étudiants, des élus locaux et des groupes parlementaires, ce plan d'actions est présenté comme une alternative à l'installation régulée des médecins, votée en première lecture par les députés lors de l'examen de la proposition de loi du député Guillaume Garot.

L'obligation pour tous les médecins d'aller exercer plusieurs jours dans des déserts médicaux est la mesure phare de ce "pacte". Dès le mois de mai, les ARS – en lien avec les élus locaux et les préfets – identifieront les zones prioritaires dans lesquelles l'accès aux soins est le plus dégradé, a indiqué le Gouvernement. Les médecins exerçant dans les zones limitrophes de ces territoires devront alors se relayer pour y assurer une continuité d’exercice en médecine de premier recours. Lors de ces déplacements, ils pourront se faire remplacer dans leur cabinet principal. 

Si la mesure se veut obligatoire, François Bayrou fait le pari de la confiance. "Les préfets et les ARS n’interviendraient qu’en l’absence de réponse locale", a affirmé le chef du Gouvernement, lors de la présentation de son plan. Surtout, les médecins réalisant ces journées de consultations dans les déserts bénéficieront d'une contrepartie financière, tandis que ceux qui s'y refuseraient pourront être pénalisés, avait précisé l'entourage du Gouvernement en fin de semaine dernière.

Un point sur lequel le ministre chargé de la Santé, Yannick Neuder, s'est montré plus prudent. "On mise beaucoup sur l'engagement, sur la solidarité, avec une incitation financière" pour les médecins participants, mais "si certains ne le font pas, […] on verra si effectivement il y aura des pénalités ou autres", a-t-il nuancé lundi 28 avril, précisant par ailleurs que le Gouvernement espère mettre en place ce dispositif dès septembre prochain.

Du côté des principaux concernés, la mesure peine à convaincre. Certains représentants de médecins pointent une mesure "ni faite ni à faire" et qui vient "déshabiller Pierre pour habiller Paul". Egora a, de son côté, interrogé ses lecteurs, leur demandant s'ils seraient "prêts à aller exercer jusqu'à deux jours par mois dans un désert ?". Sur les plus de 700 professionnels de santé qui se sont exprimés sur notre plateforme de débat, seuls 26% ont répondu positivement à cette question. Pour une large majorité des répondants (74%), la mesure phare du Premier ministre est "ahurissante", voire du "grand n'importe quoi". Voici une sélection de commentaires et arguments qui ont émergé de ce débat. 

 

Les remplaçants ne seront pas assez nombreux

"Que feront les patients qui devaient consulter ces 2 jours par mois ? Cette proposition ne résoudrait pas le problème et est difficilement applicable. Les remplaçants ne seront pas assez nombreux. À quels frais organiser ces déplacements (déplacement, frais de fonctionnement de cabinet, perte d’exploitation, frais ordinaux, frais de locaux adaptés, le cas échéant frais de garde d’enfants jour et nuit, assurances, intérêt[s] au plan développement durable, frais de secrétariat, etc.) ? Déplacer 2 pions sur un échiquier vide ne remplace pas l’attractivité de l’installation."

Par Valérie B., rhumatologue
 

Je ne vais certainement pas me faire remplacer pour aller voir des patients que je ne connais pas

"Ahurissant ! Je ne vais certainement pas me faire remplacer (devoir chercher, devoir faire les transmissions à un remplaçant qui ne connaît pas mes patients) pour aller voir des patients que je ne connais pas. Ni fermer mon cabinet deux jours par mois et devoir rattraper le boulot les lendemains.

Quant à sacrifier un jour off pour une idée aussi stupide, il n'en est pas question. Quid des locaux pour exercer dans le désert ? Du matériel ? De l'informatique nécessaire ? Du téléphone ? Du secrétariat ?

Nous n'avons pas à être punis pour des décisions idiotes qui ont mené là où on en est aujourd'hui.  Ce qui me sidère, c'est qu'à l'heure des 35 heures, on demande à ceux qui en font déjà beaucoup plus d'en faire encore et encore plus. Il n'y a pas de limites."

Par Françoise D., généraliste
 

Faire des consultations en zones sous-dotées, pourquoi pas ? Mais il faut que ce soit correctement organisé

"Faire des consultations en zones sous-dotées, pourquoi pas ? Mais il faut que ce soit correctement organisé. Ça implique d'investir dans des locaux, du matériel, une secrétaire, rembourser les frais de transports, assurer la PDS dans le centre d’où les médecins sont originaires...

Dans un contexte de réduction des dépenses publiques, il faut faire des simulations budgétaires. Mieux vaut, à mon avis, renforcer les hôpitaux périphériques qu'envoyer les médecins à droite et à gauche."

Par Pierre C., anesthésiste-réanimateur
 

Avec le 'volontariat obligatoire', on part déjà sur de mauvaises bases

"Avec le 'volontariat obligatoire', on part déjà sur des mauvaises bases. Si l’Etat donnait plus de moyens aux médecins salariés des hôpitaux publics, les effectifs seraient moins mal en point et il aurait les moyens d’appliquer sa politique. Au lieu d’investir, il inflige de nouvelles obligations aux libéraux 'qui peuvent bien se le permettre'."

Par Mathieu B., étudiant en médecine humaine

 

Je suis déjà sous l'eau, il n'est pas envisageable de complexifier mon planning

"Avec 2 enfants de 3 ans et 5 ans et des semaines de 45h, je suis déjà sous l’eau. Il n’est même pas envisageable de complexifier le planning. Je pense sérieusement à arrêter mon activité si la mesure passe parce que je ne peux plus gérer de contrainte supplémentaire."

Par Alice C., généraliste
 

Stop aux solutions qui diminuent la qualité des soins

"La seule solution dont on ne parle pas depuis 30 ans : augmenter le nombre d’étudiants en médecine… Et oui ça prendre 10 ans, mais ça fait 30 ans qu’on parle du même problème !! Et stop aux solutions qui diminuent la qualité des soins : 2 jours par mois parachuté pour voir des patients qui ont besoin d’un vrai suivi... ; [des] médecins qui n’ont pas les qualifications (ex. réduire les exigences pour l’équivalence de diplôme quand nos enfants doivent avoir plus de 15/20 pour réussir…) ; [des] pharmaciens, IDE… qui sont des experts aussi mais [n'ont] pas des mêmes études. Bref : doublons le nombre d'étudiants !"

Par Anne L., urgentiste
 

Il suffit de faire quelques dizaines de kilomètres pour être confronté à des patients très différents

"Je l'ai fait pendant 25 ans à raison de 2 jours par semaine. C'est très enrichissant et satisfaisant au plan professionnel. Il y a beaucoup de pathologies, les patients sont reconnaissants et cela change de la routine quotidienne sur le même lieu. Il suffit de faire quelques dizaines de kilomètres pour être confronté à des patients très différents.

Pour l'organisation, les possibilités sont nombreuses : dans des cliniques, des hôpitaux de proximité, des MSP, en soutien d'un médecin local qui peut mettre à disposition ses locaux quelques jours par mois (lui-même ne trouvant pas de remplaçant), dans un cabinet secondaire créé de novo par un cabinet de groupe situé dans une grande agglomération ou reprise d'un cabinet existant dont le titulaire part en retraite...

C'est à la convention médicale de prévoir aussi des adaptations (le dispositif des consultations avancées démarre en 2026) et une aide à la création d'un nouveau site de consultations en complément de l'aide apportée éventuellement par les collectivités territoriales. La croissance à venir des effectifs de médecins peut stimuler cette évolution et rendre toute forme d'obligation inutile."

Par Thierry B., ophtalmologue 
 

Je ne serai pas remplacé et laisserai mes patients avec mon cabinet fermé pendant 2 jours

"Non, car je ne serai pas remplacé dans mon cabinet et laisserai mes patients avec mon cabinet fermé pendant 2 jours. Qui va s'occuper d'eux ? Les urgences ? Les structures de soins non programmés ont phagocyté les remplaçants. Si on est obligé[s] d'aller dans les déserts médicaux, alors il faudra que TOUS les médecins y participent. Les médecins des structures de soins non programmées. Les médecins scolaires. Les médecins du travail. Les médecins salariés des centre[s] de soins. Les médecins hospitaliers. Les médecins des armées.

Il faut aussi une obligation pour que dans ces lieux où nous serons tenus de travailler, il y ait un minimum de service[s] public[s] avec banque, épicerie, administration… Ces déserts sont devenus médicaux car les infrastructures pour bien y vivre ont disparu.

Donc en travaillant ainsi on ne fera que du soin palliatif qui n'apportera aucune plus-value pour les patients. Juste une illusion qu'on les prend en charge. Mais en réalité on le sait tous, c[e] [n'est] que dans la continuité des soins qu'on arrive à offrir une meilleure prise en charge des patients. Donc en pratique c'est une mauvaise proposition. Si certains médecins veulent participer à cela pourquoi pas, mais sur la base du volontariat avec des avantages fiscaux Et sûrement pas sur la base d'une obligation."

Par A.D., médecin
 

Ce serait une aide temporaire pendant une dizaine d’années, le temps que les effectifs de médecins remontent

"J'exerce maintenant depuis plus de 15 ans dans le même cabinet de groupe en ville dans le Sud. Et maintenant que mes enfants sont plus autonomes, j’ai un peu plus de temps. Cela me paraît personnellement réalisable en prenant 1 jour par mois sur mes journées de travail et un jour sur mes mardis off. Mes collègues assureraient la permanence à mon cabinet pour le jour d’absence.

Je compte sur des locaux déjà en place avec une secrétaire et un minimum de matériel médical sur place avec ordinateur et imprimante. Il faudrait organiser ça avec l’aide des mairies et des professionnels de santé qui y sont installés, s’il y en a. Les déplacements seraient payés par l’Etat et le logement sur place si besoin.

Ce serait une aide temporaire pendant une dizaine d’années, le temps que les effectifs de médecins remontent. Ça me changerait un peu des gens vivant à la campagne, et 1 ou 2 jours par mois cela me parait raisonnable.

Je comprends que cela ne soit pas possible pour tous les médecins, mais de toute façon je ne vois pas quelque chose qui irait à tous pour essayer de pallier le manque de médecins dans les déserts médicaux. Donc pourquoi pas !"

Par Stéphane G., généraliste
 

 
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