
Régulation de l'installation : pour les Maires de France, "les médecins ne peuvent plus jouer aux petits singes qui se cachent les yeux"
D'ordinaire plutôt favorable à des mesures coercitives, l'Association des maires de France (AMF) a récemment pris position contre la régulation de l'installation des médecins, telle que prévue par la proposition de loi Garot. "C'est une arme à double tranchant dans un contexte de pénurie", estime le coprésident de la commission santé de l'AMF et maire de Douai (Nord), Frédéric Chéreau, pour qui les praticiens doivent toutefois entendre les alertes qui leur sont adressées, au risque de voir leur exercice contraint. Entretien.

Egora.fr : En 2022, l'Association des maires de France formulait plusieurs propositions "santé" en vue de la présidentielle. Elle préconisait notamment d'encadrer davantage la pratique des médecins généralistes et des autres spécialistes, "dont l'installation et l'exercice seraient soumis à conditions dans les zones où l'offre de soins est déjà à un niveau particulièrement élevé". Aujourd'hui, l'AMF s'oppose à la régulation de l'installation telle que défendue par Guillaume Garot. Pourquoi ce revirement ?
Frédéric Chéreau : Ce n'est pas un changement de position. Il y a des débats au sein de l'AMF autour de [la régulation] de l'installation des médecins. Une partie des élus sont pour la coercition – beaucoup sont favorables à l'article 1 de la PPL Garot, notamment ceux qui sont dans un territoire en déprise médicale – et une partie sont plus prudents. L'AMF essaie d'être sur un chemin de crête entre les deux. Ce qui nous rassemble, c'est le constat qu'aujourd'hui nous avons des territoires qui sont en grave difficulté et qu'il faut trouver une solution. Cette solution n'est pas forcément la coercition, mais cela ne peut pas être uniquement l'incitation… car on voit que ça fonctionne mal. On pourrait dire, par exemple, à un médecin : 'Très bien, vous pouvez vous installer à Valence ou à Lyon, mais une fois par semaine vous allez faire des consultations dans le fin fond du Beaujolais ou dans la Drôme.' On peut trouver des solutions pour organiser l'accessibilité médicale des territoires les plus éloignés sans forcer les médecins à installer leur famille dans un territoire qui ne leur va pas.
Officiellement, en tout cas, la position que vous affichez n'est plus aussi radicale qu'elle ne l'a été…
Nous pensons que la régulation à l'installation est une arme à double tranchant dans un contexte de pénurie. Ce qu'il faut lire en sous-texte dans les communiqués de presse que produisent les [syndicats de] médecins, c'est que ce qui est rare est cher. Les médecins étant aujourd'hui rares (donc chers), ils ont la main dans la négociation. La contrainte peut être contre-productive malheureusement.
C'est ce que vous avez dit à Guillaume Garot lorsqu'il vous a auditionné il y a une quinzaine de jours ?
Je lui ai dit que nous étions d'accord avec la quasi-totalité des articles inclus dans sa proposition de loi (la permanence des soins obligatoire, la décentralisation des premières années de médecine…), à l'exception du premier [la régulation de l'installation des médecins*, NDLR] pour lequel l'AMF est plus prudente. Il faut néanmoins souligner que ce qui est proposé ne constitue pas non plus une coercition énorme... Dans 80% du territoire, les médecins pourront s'installer comme ils le souhaitent. Les zones bien pourvues sont désormais une minorité du territoire.
Globalement, nous partageons l'objectif, mais nous sommes prudents sur la méthode. Dans un contexte de pénurie, les médecins sont libres de partir dans le secteur privé – qui leur tend les bras – ou ailleurs. Je ne pense toutefois pas qu'ils partiront tous à l'étranger, comme certains ont pu le dire. Ils sont comme les chefs d'entreprise : ils brandissent beaucoup cette menace, mais restent en France.
En commission d'enquête, le 1er avril, Patrick Genre, président de l'AMF dans le Doubs, a avancé une alternative : "lier l'installation à l'obligation d'assurer la PDSA". Est-ce une solution qui fait consensus ?
Cela pourrait être une piste effectivement. À l'AMF, nous sommes davantage partisans de la coercition sur la permanence des soins.
Actuellement, le nombre de médecins frémit à la hausse, mais la médecine générale est plutôt en baisse. Les jeunes médecins qui sortent de la faculté se destinent davantage à d'autres spécialités. Leur choix se fonde beaucoup sur la notion de permanence des soins. Les spécialités à permanence des soins sont plutôt celles qui font fuir. Il y a probablement une réflexion à avoir sur la valorisation de cet effort et la mise en place d'une organisation de la permanence des soins qui soit collective, de sorte que les médecins ne soient pas seuls face à cette obligation. Par exemple, que ce soit piloté par les CPTS, par un centre de santé ou une maison de santé.
Les médecins libéraux pourraient être comparés à des cadres de la fonction publique
Comment interprétez-vous le vote des députés, qui ont validé la régulation de l'installation des médecins ? Rappelons qu'en commission des Affaires sociales, celle-ci avait été supprimée.
Je pense que c'est un signe envoyé aux médecins. C'est une manière de montrer que, pour les élus locaux, l'inquiétude est très forte s'agissant de l'accessibilité aux soins. Le vent tourne. Les médecins ne peuvent pas juste jouer aux petits singes qui se mettent les mains sur les yeux et les oreilles. S'ils ne trouvent pas de solutions pour rendre ce service public nécessaire partout dans le territoire, ils risquent de se retrouver face à des contraintes de ce genre. Certains syndicats représentatifs des médecins sont dans une logique de 'aucune contrainte, laissez-nous faire tout va bien'. Oui, sauf que tout ne va pas bien.
Les médecins ont un statut libéral qui est bien installé, auquel ils s'agrippent, mais, quelque part, ils sont financés sur fonds publics, et donc ils pourraient être comparés à des cadres de la fonction publique. Or, dans la fonction publique, que ce soient les magistrats, les officiers de police ou de gendarmerie, les préfets, etc., tous sont assignés à un poste pour une couverture cohérente du territoire. C'est aussi le cas des dentistes et pharmaciens. Finalement, les médecins sont les seuls personnels de niveau cadre exerçant une mission de service public financée par fonds publics qui ont une totale liberté d'installation.
La coercition n'est donc, en soit, pas scandaleuse. Elle est juste aujourd'hui un peu compliquée parce qu'on est en situation de pénurie et qu'il y a un historique ancien d'autonomie complète des médecins, mais en soit le sujet n'a rien de scandaleux.
Les maires (l'AMF, mais aussi l'Association des maires ruraux de France) se mobilisent énormément dans le cadre des débats autour de la PPL Garot. Pensez-vous que les élus locaux ont un rôle important à jouer, une légitimité ?
Bien sûr. Nous pensons que les maires peuvent exercer une influence positive sur la santé. Nous pouvons accompagner tout ce qui relève de la prévention, du dépistage ; nous accompagnons déjà les installations de maisons de santé, de centres de santé. Nous sommes des partenaires précieux des médecins.
Qu'est ce qui pourrait selon vous favoriser l'installation des jeunes médecins ?
Ce que les jeunes médecins recherchent aujourd'hui, c'est de rentrer dans un écosystème local de santé. Ils ne veulent plus être seuls. Il faut donc favoriser l'exercice collectif. Je mets toutefois en garde les maires qui construisent une maison de santé et vont chercher des professionnels par la suite. Il faut associer les professionnels de santé de son territoire dès le départ. Il apparaît également nécessaire de favoriser le lien ville-hôpital, mais aussi tous les "à-côtés" de la santé. Nous pouvons par exemple travailler avec les médecins sur le stationnement, sur le financement de locaux pour les internes, etc. Nous pouvons les aider sur plein de choses. Quand vous mettez en place cet écosystème de santé, où le médecin a tout de suite un lien avec une CPTS, avec le contrat local de santé, avec l'hôpital, a un accès privilégié au maire qui l'accueille personnellement, vous créez toutes les conditions pour qu'il ait envie de s'installer. Ce ne sont pas uniquement les aides financières qui déterminent les choses.
Aujourd'hui, certains maires font de la surenchère pour attirer des médecins, au détriment parfois d'autres communes…
C'est un vrai sujet. A l'AMF, nous ne sommes pas favorables aux solutions qui déshabillent Pierre pour habiller Paul. Si on joue à celui qui mettra le plus de sous sur la table pour attirer les médecins, ce qui va se passer c'est que ce seront des territoires plus riches qui y parviendront, et les territoires plus pauvres, qui sont souvent ceux qui ont le plus de besoins, vont se retrouver encore plus démunis.
Comme empêcher cela ?
En mettant fin à la pénurie de médecins (rires).
La santé reste une prérogative d'Etat. C'est à l'Etat de trouver des solutions et d'être un minimum courageux pour que tout le monde soit soigné de la même manière partout. Si les élus locaux se sont emparés du sujet et inventent des solutions parfois pertinentes, parfois maladroites – parce qu'elles les mettent en concurrence –, c'est parce qu'il faut bien qu'ils agissent face à l'inquiétude de leurs concitoyens.
Si l'Etat et les médecins ne se rendent pas compte du problème et n'agissent pas avec un peu de courage, les élus vont finir par mettre en place leurs solutions et les parlementaires, qui écoutent les maires, vont soutenir des propositions comme celles de la PPL Garot.
*L’article 1er de la proposition de loi vise à flécher l’installation des médecins – généralistes et spécialistes – vers les zones où l’offre de soins est insuffisante, par le biais d'une autorisation qui serait délivrée par l'ARS. Elle serait délivrée de droit dans les zones sous dotées, mais conditionnée au départ d'un confrère de la même spécialité "lorsque l’offre de soins est au moins suffisante"
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