kiné en ehpad

"La kinésithérapie en Ehpad n’est ni un luxe, ni une faveur : c'est une nécessité"

Avec le passage des Ehpad à la dotation globale, des actes de kinésithérapie "essentiels à la prévention des chutes, au maintien de l’autonomie, ou à la qualité de vie" risquent d'être rationnés pour des raisons budgétaires, met en garde François Randazzo, président du syndicat Alizé, dans une tribune.

05/05/2025 Par François Randazzo
Kiné Ehpad
kiné en ehpad

Il y a bientôt trois ans paraissait Les Fossoyeurs, l’enquête de Victor Castanet qui levait le voile sur les pratiques inacceptables de certains établissements privés. Ce livre a marqué les esprits, révélant à une opinion publique sidérée les effets délétères d’une logique gestionnaire extrême. Mais l’indignation fut éphémère. Et si les projecteurs se sont un temps braqués sur les défaillances du secteur privé, la réalité des Ehpad publics n’en est pas moins préoccupante : sous-dotation chronique, personnels épuisés, accès aux soins limité. 

Les évolutions, depuis, ont été minimes. Pourtant, une problématique majeure, bien que moins médiatisée, mérite aujourd’hui toute notre attention : la dégradation continue de l’accès aux soins de kinésithérapie pour les résidents en Ehpad. Avec le passage à la dotation globale, cet accès subit, dans le meilleur des cas, un sévère coup de rabot ; dans les situations les plus extrêmes, certaines prises en charge sont tout simplement interrompues.

La dotation globale, un mirage budgétaire aux conséquences humaines

Actuellement, certains soins spécifiques, comme les actes de kinésithérapie, sont encore pris en charge directement par l’Assurance maladie, hors enveloppe budgétaire. La dotation globale, elle, consiste à attribuer à l’établissement une enveloppe fixe annuelle pour couvrir l’ensemble des soins. Dès lors, la direction arbitre entre les postes de dépenses, sous la pression des contraintes financières, au risque de reléguer la kinésithérapie au second plan.

Présentée comme un progrès, la dotation globale transforme les soins en postes compressibles et fait du patient une simple variable d’ajustement. Les actes essentiels à la prévention des chutes, au maintien de l’autonomie, ou à la qualité de vie peuvent être écartés, non pour des raisons médicales, mais budgétaires. Et les kinésithérapeutes, marginalisés, voient leur indépendance
professionnelle amputée.

Cette logique sera accentuée par l’expérimentation lancée dans vingt départements, prévoyant la fusion des budgets soins et dépendance. En diluant les financements spécifiques, on risque d’entériner la mise à l’écart des soins de rééducation, au détriment de la dignité de nos aînés. Nous assistons ainsi à un glissement silencieux : d’une approche individualisée du soin, nous
passons à une gestion rationalisée de la dépendance, où seuls les cas les plus lourds sont pris en charge, les autres devenant invisibles.

Notre société accepte une spoliation des droits de nos aînés

Ce rationnement institutionnel soulève une question : les personnes en Ehpad ont-elles encore les mêmes droits que celles vivant à domicile ? Ont-elles droit à un accès équitable aux soins, à la liberté de choisir leur praticien, au respect de leur autonomie ?
C’est à la manière dont elle traite ses anciens que l’on juge le degré de civilisation d’une société. À ce titre, nous devons collectivement nous interroger sur l’image que renvoie la nôtre.

Garantir un équitable accès aux soins

Il est urgent de mettre en place des mesures concrètes :
• Sanctuariser les soins de kinésithérapie : maintenir un financement direct par l’Assurance maladie ou réserver une part obligatoire de la dotation globale.
• Garantir transparence et qualité : créer des indicateurs publics sur l’effectivité de l’accès aux soins de rééducation.
• Reconnaître la place centrale des kinésithérapeutes dans la prise en charge de la personne âgée : les intégrer systématiquement aux équipes pluridisciplinaires.

Reconstruire un modèle centré sur les besoins des patients est la seule voie pour éviter que ce phénomène, dont la progression s’accélère, ne devienne la norme.

Des responsabilités partagées, une vigilance collective

Les gestionnaires d’établissement, privés comme publics, portent une responsabilité, mais les professionnels de santé aussi. Les kinésithérapeutes doivent améliorer la lisibilité de leur action et renforcer la traçabilité de leurs interventions pour montrer leur caractère indispensable. 

Mais cette exigence ne doit pas justifier que l’on transforme leur action en simple variable économique. La kinésithérapie en Ehpad n’est ni un luxe ni une faveur : c’est une nécessité, porteuse de dignité, de lien social et de prévention. Il est temps d’ouvrir les yeux : sous couvert de rationalisation, c’est un abandon progressif et systémique qui est à l’œuvre. Pour éviter qu’il ne devienne le prochain scandale sanitaire, il nous faut dénoncer ce modèle, alerter les décideurs et exiger des réformes à la hauteur des enjeux.

La dépendance n’est pas un poste budgétaire : c’est une réalité humaine, exigeante, qui nous concerne tous.

 
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