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Refus de soins, réorientation "abusive", symptômes minimisés... Un rapport pointe les discriminations dans l'accès aux soins

Dans un rapport rendu public mardi 6 mai, la Défenseure des droits pointe des discriminations aussi bien dans l'accès aux soins que dans la prise en charge des patients. Des situations qui touchent plus particulièrement les femmes, les personnes d'origine étrangère ou en situation de handicap. 

06/05/2025 Par Louise Claereboudt
Patients
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224. C'est le nombre de plaintes qui ont été déposées devant les ordres professionnels et l'Assurance maladie par des patients en 2022. Sur la même période, la Défenseure des droits – autorité administrative indépendante chargée de défendre les personnes dont les droits ne sont pas respectés et de permettre l'égalité de tous – a reçu 31 réclamations concernant un refus de soins discriminatoire, "principalement en raison de la particulière vulnérabilité économique et/ou de la nationalité" des patients (CSS, AME), et, "dans une moindre mesure, de l'état de santé du patient" (patient vivant avec le VIH par exemple). Ces chiffres sont très probablement sous-évalués, estime la Défenseure des droits dans un rapport paru ce mardi.

L'autorité indépendante a ainsi mené de nombreuses auditions (ordres, autorités sanitaires, associations…) et lancé en parallèle un appel à témoignages entre le 8 novembre 2024 et le 6 janvier 2025 afin d'identifier les différents types de discriminations dans le soin et d'établir des recommandations. Plus de 1500 personnes y ont répondu, essentiellement des patients mais aussi des personnels soignants. Un engouement qui "constitue en lui-même le signal d'une double attente de la part des personnes concernées : être entendues et être respectées dans leurs droits", écrit l'institution. S'il n'est statistiquement "pas représentatif" de la population française, cet appel à témoignages permet de "rendre visible" "l'éventail des discriminations dans les parcours de soins en France".

Ces discriminations peuvent se traduire, dans le domaine de la santé, "par un refus de soins sur le fondement de la nationalité du patient ou par une prise en charge de moindre qualité en raison de son identité de genre", précise la Défenseure des droits. Et d'ajouter : elles peuvent "survenir à toutes les étapes de la prise en charge et, de façon moins visible ou consciente, au sein de la relation soignant-soigné". Pourtant, souligne-t-elle, "les codes de déontologie des différentes professions médicales précisent […] que le refus de soins ne doit pas être motivé par un critère discriminatoire et que la continuité des soins doit être assurée".

 

La crise des urgences, "un terreau favorable pour l'expression des discriminations"

L'institution s'est notamment intéressée aux structures de soins, en ville comme à l'hôpital (cabinets libéraux, services d'urgence…). D'abord aux urgences, l'institution souligne que "la pression qui s'exerce" actuellement sur ces services et "les pratiques de sélection et de priorisation selon le degré d'urgence des patients" constituent "un terreau favorable pour l'expression des discriminations et le renforcement des inégalités d'accès aux soins". Les études qui se sont penchées sur le sujet "témoignent d'une prise en charge différenciée des personnes, en particulier selon leur sexe, leur origine, leur nationalité et leur vulnérabilité économique".

Les témoignages qui ont été adressés à la Défenseure révèlent par ailleurs "une sous-évaluation, par les services d'urgence, de la douleur et de la gravité des symptômes exprimés par les femmes, notamment lorsqu'elles sont jeunes, d’origine étrangère ou perçues comme telles". " Selon les cas, la douleur de la patiente est soit minimisée, soit remise en cause et renvoyée à une supposée anxiété ou à une souffrance psychologique dissimulée", peut-on encore lire.

Les mères célibataires apparaissent particulièrement exposées. Ainsi, "à la suite d’une overdose médicamenteuse dans le cadre de son traitement pour plusieurs pathologies chroniques", une patiente a témoigné qu'elle avait "fait l’objet d’un refus discriminatoire du médecin des urgences de procéder à un bilan sanguin, accompagné de propos stigmatisants lui opposant que 'l’hôpital n’est pas un hôtel pour mère célibataire épuisée'".

Le "syndrome méditerranéen", "préjugé raciste - sans fondement médical - selon lequel les personnes d’origine nord- africaine ou noire exagèrent leurs symptômes ou douleurs", a également pour effet une "minimisation des souffrances exprimées" par les patients voire un "refus de prise en charge", "aux conséquences parfois fatales", alerte la Défenseure des droits. Les personnes vulnérables économiquement (vivant à la rue par exemple) sont, elles aussi, souvent victimes de discriminations. Elles peuvent se voir refuser l'entrée aux urgences en raison "de leur apparence physique, de leur odeur corporelle ou au motif de l’alcoolisation".

 

CMU, AME… Encore des refus de rendez-vous

S'agissant des soins pour lesquels une prise de rendez-vous est nécessaire ou privilégiée, des discriminations sont aussi observées sous "des formes multiples", poursuit la Défenseure des droits. Si la CMU, la CSS et l'aide médicale d'Etat (AME) ont été élaborées "dans le but de pallier les difficultés d'accès aux soins", "paradoxalement, le fait de bénéficier de l'un de ces dispositifs et les stéréotypes qui y sont associés, vont parfois induire un refus d’accès à des soins". Une étude réalisée en 2023 a montré que pour les bénéficiaires de l'AME, "4% des demandes de rendez-vous auprès d’un médecin généraliste, 7% des sollicitations auprès d’un pédiatre et 9% des sollicitations auprès d’un ophtalmologue sont explicitement rejetées pour ce motif".

L'institution observe également des refus "explicites" et "implicites" de rendez-vous liés à l'origine des patients. Une patiente a ainsi rapporté le refus de sa gynécologue de la recevoir en consultation, "car elle est noire et grosse et qu'elle ne verra rien" à l'examen. L'état de santé d'un patient peut aussi constituer un motif discriminatoire. Des associations ont ainsi remonté des refus de prise en charge par des médecins généralistes de patients diabétiques, "en raison du temps plus long de consultation que ces rendez-vous exigent", peut-on lire dans le rapport de la Défenseure des droits, qui rappelle que "l'état de santé d’une personne ne peut faire obstacle à l’accès aux soins". Celle-ci s'est par ailleurs prononcée "à de nombreuses reprises" concernant des réclamations relatives aux difficultés rencontrées par des patients vivant avec le VIH, "les soignants refusant de les recevoir en consultation par crainte d'une contamination".

Les personnes en situation de handicap se voient elles aussi opposer des refus de rendez-vous pour des motifs allant "du manque de temps ou de formation" aux "locaux inaccessibles ou à un matériel médical inadapté". 

"Décliner la demande de réservation d'un créneau de consultation, en acceptant de le recevoir uniquement entre deux patients ayant un rendez-vous programmé" ; attribuer un rendez-vous dans un délai plus long ; exiger des documents particuliers ; imposer de se rendre physiquement au cabinet pour prendre rendez-vous alors que les autres patients peuvent le faire par téléphone... peuvent également être appréhendés comme des refus de soins discriminatoires pour la Défenseure des droits.

 

Des "atteintes fréquentes" au droit au consentement

Des discriminations sont également susceptibles de se produire pendant la prise en charge médicale, lors du déroulement de la consultation ou de l’hospitalisation dans un établissement de santé, public ou privé.  "Elles peuvent se décliner selon différentes formes" : "non-respect des droits des patients, expression de préjugés et propos stigmatisants, abaissement des normes de prise en charge, instauration de modalités spécifiques en lien avec un critère de discrimination, etc.", liste le rapport. 

Les témoignages que l’institution a reçus rapportent ainsi des "manquements récurrents" au droit à l’information de patients, en raison "de leur état de santé, de leur handicap, de leur origine réelle ou supposée, de leur identité de genre ou de leur apparence physique". Une personne dénonce, par exemple, le manque d’explications fournies dans le cadre d'une transition de genre et de son impossibilité de faire un choix éclairé concernant les traitements à effectuer : "Mon urologue m'a demandé de choisir la dérivation urinaire entre urostomie et néovessie sans m'expliquer les avantages et les inconvénients des deux solutions et surtout les conséquences de la cysecprostatectomie radicale. À savoir : stérilisation et dysfonctionnement érectile définitif. Je suis devenue intersexuée sans prise en charge."

L'institution rapporte aussi des "atteintes fréquentes" au droit au consentement, "dont sont particulièrement victimes les femmes lors de leur suivi gynécologique ou obstétrical". De nombreux témoignages font ainsi part "d’examens gynécologiques (frottis, échographie endovaginale, pose de stérilet, examen interne, etc.) réalisés sans information préalable et sans que leur consentement soit recherché". Les femmes d'origine étrangère apparaissent particulièrement concernées.

La Défenseure des droits dit également avoir été alertée d'"actes de soins non consentis sur des personnes présentant un handicap psychique, comme l'administration contrainte d’une injection à un patient pourtant pris en charge sous le régime de la libre hospitalisation, ou le recours à la force, à la contention ou à l’isolement de manière accrue et non justifiée". Elle appelle à développer "des protocoles de soins et des outils susceptibles de guider les professionnels de santé dans le choix de recourir ou non à ce type de mesures attentatoires aux droits fondamentaux des patients". 

La discrimination en consultation peut également prendre la forme d'un "harcèlement discriminatoire" caractérisé par des propos, par une minimisation de la douleur, un refus de prescrire des examens, de prodiguer certains soins (prescrire une contraception par exemple) ou de proposer des traitements différents. 

 

Mieux former les professionnels de santé

"Les discriminations dans les soins ont des conséquences délétères immédiates et durables sur le parcours de soins des patients, ainsi que sur leur santé physique et mentale", comme des risques de report ou de renoncement aux soins, signale la Défenseure des droits, qui exhorte le Gouvernement à mettre en place une stratégie nationale de prévention et de lutte contre ces pratiques.

Doivent être inclus de manière systématique dans la formation initiale des professionnels du champ de la santé des modules de formation dédiés à la lutte contre les discriminations et aux spécificités de certains publics (personnes en situation de handicap, de précarité, transgenres, allophones, en situation d’obésité, vivant avec le VIH, mineurs non accompagnés...) et des informations sur les dispositifs (CSS, AME, ALD, structure d’hébergement temporaire pour soins, consultations blanches), plaide également l'institution.

Elle appelle aussi à faciliter le dépôt de plainte devant les ordres et l'Assurance maladie, et recommande de prononcer des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, ce qui doit notamment passer par une meilleure formation des conseillers ordinaux et par la construction d'un référentiel des sanctions.

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Débatteur Renommé
Chirurgie générale
il y a 24 jours
J'ai opéré il y a plusieurs décennies (cholécystectomie) une jeune femme de "type méditerranéen" qui avait une pancréatite aiguë lithiasique. Elle souffrait beaucoup. Son dossier médical de son bref
Photo de profil de Romain L
15,8 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 23 jours
Ca me fait marrer. On est en train d'organiser l'effondrement de la qualité des soins en autorisant des incompétents à pratiquer la médecine et en trouvant mille et une manière de faire fuir ceux qui
Photo de profil de Marielle Sereni
200 points
Débatteur Renommé
il y a 23 jours
Quelle hypocrisie ! Tellement plus facile a posteriori ! Et quel est le pourcentage d’embolisation des urgences et des consultations d’un mg pour RIEN ? Une fièvre à 38 apparue dans la journée sans
 
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